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Les VERNET
peintres de père en fils
CARLE VERNET
Précédemment, nous nous sommes intéressés au peintre avignonnais Joseph Vernet, membre d’une prestigieuse dynastie d’artistes. Voici maintenant la biographie de son fils Carle, resté très lié avec son père, témoin de la spectaculaire évolution de la société et des mœurs avant et après la Révolution.
« Je ressemble au grand dauphin : fils de roi, père de roi, jamais roi. » Apocryphe ou non, cette citation rend bien compte de la position de Carle Vernet, membre de la prestigieuse dynastie, qui, bénéficiant peut-être de dons trop multiples, n’imposa pas un style unique comme on aime à cataloguer les artistes.

N B Lepicié - Carle enfant
Né Antoine Charles Horace en 1758 à Bordeaux, lors des déplacements de ports en ports de sa famille, le deuxième fils de Joseph Vernet, surnommé Carle, montre de bonne heure ses dons pour le dessin – et l’équitation – et devient tout naturellement l’élève de son célèbre père. Il connaît une enfance heureuse et choyée, malgré la maladie mentale précoce de sa mère. Tout enfant, il a l’occasion de rencontrer les grands esprits de son temps, dont Voltaire à Ferney, qui admire les Marines de son père. Il devient l’élève de Nicolas-Bernard Lépicié, un peintre assez original qui, paraît-il, s’habillait en moine.

N B Lepicié - Carle 14 ans
A l’âge de 24 ans, il obtient un premier prix de peinture sur le thème de la Parabole de l'Enfant prodigue et part à Rome compléter son apprentissage en qualité de pensionnaire du roi. Réputé pour son élégance et son esprit de repartie, brillant cavalier, il a une passion pour les chevaux qu’il va exprimer dans d’innombrables tableaux. Il s’inspire des splendides bêtes des haras de Rome, peints « sur le motif ».
Cependant, comme à l’époque de son père, la ville des multiples plaisirs consomme un peu trop de son temps… et pris de remords, il pense entrer dans les ordres. Joseph se dépêche alors de l’en dissuader et le fait revenir à Paris, où il va habiter rue de l’Ortie. Il lui fait rencontrer Michel Moreau, dit Moreau-le-jeune, un talentueux graveur de ses amis et Carle épouse en 1787 sa fille Catherine-Françoise, dite Fanny. En 1789 il peint l’immense (4,38 mètres de long !) Triomphe d’Amaelius Paulus fort admiré pour sa représentation des chevaux, et qui lui vaut son admission à l'Académie royale. A ce titre il s'installe avec sa famille dans un atelier au Louvre, comme son père.

Triomphe d’Amaelius Paulus (1789) - Metropolitan Museum - New York
Carle et son épouse auront deux enfants : Camille, née en 1788, qui épousera le peintre Hippolyte Lecomte et aura quatre enfants dont deux peintres ; et Horace, né en 1789, qui embrassera lui aussi la carrière familiale. Il fréquente la société élégante des jeunes gentilshommes qui, à la suite du comte d'Artois, instaurent le goût des courses de chevaux.

Durant la Révolution, il fait plutôt profil bas, tout en devenant capitaine dans la Garde nationale. Lors de la journée du 10 août 1792 qui voit la prise des Tuileries et l’emprisonnement de la famille royale, il est blessé à la main par une balle perdue en quittant son atelier avec son épouse et Horace.
Quand sa sœur Marguerite Émilie, épouse séparée de Jean-François Chalgrin qui a émigré, est compromise en 1794 pour une peccadille et condamnée à mort, Carle Vernet supplie en vain Jacques-Louis David, alors président du club des Jacobins et membre actif de la Terreur, d'intercéder pour sa libération ; ce dernier refuse et la jeune femme est guillotinée. Carle, très affecté, ne pardonnera jamais à David.
Carle inaugure, avec Antoine-Jean Gros, une nouvelle expression de la peinture militaire, et il se distingue particulièrement dans les scènes de courses, de chasses, d’élégants cavaliers, gravées par Debucourt, mettant en valeur sa passion pour les chevaux dont il a une profonde connaissance.

Robert Lefevre - Carle Vernet en 1804

Scène de chasse à Compiègne - 1811 - Musée de l'Hermitage

Mamelouk à la bataille des Pyramides - 1798


Les chevaux de halage
Cheval emballé
Il devient le peintre des « petits genres » : ses séries sur « les petits métiers de Paris », les scènes populaires et ses caricatures sur les « Inc’oyables » et « Me’veilleuses » en robes transparentes et chapeaux démesurés, fashionista de l’époque qui ne prononcent pas les R, donnent un formidable témoignage de la vie parisienne, loin des représentations grandiloquentes et des portraits aristocratiques traditionnels.
Ses innombrables dessins, caricatures, esquisses destinées à des ouvrages illustrés donnent lieu à de nombreuses reproductions ou reprises, entre autres par Théodore Géricault.

Petits métiers de Paris
Le marchand de salade - 1825

Officiers anglais

"Passez payez" : un "décrotteur" aide une belle dame à traverser au-dessus de la boue.

Gouache de Carle Vernet, gravure de Louis Darcy - 1796
« Une énorme bourgeoise, portant sur la tête des rubans pointus et raides qui lui donnent l'air d'un colimaçon épanoui, rencontre une merveilleuse élancée, fluette, qui fend les airs avec un long chapeau creusé en cuiller, d'où sortent les mèches flottantes de ses faux cheveux. Chacune d'elles relevant sa robe, il semble que le peintre ait voulu établir un contraste entre les deux mollets. Celle-ci en a un puissant et dodu, comme un pain de sucre renversé ; celle-là, au contraire, trahit une jambe impossible, dont l'interminable fuseau fait honte à l'embonpoint de sa rivale. Le peintre, cependant, tout en accusant le comique des formes, en charge à peine le travers. C'est par la tournure, par le mouvement, par le geste, qu'il nous saisit. Par là il supplée à l'exagération qui diminuerait la surprise, au lieu de l'augmenter, de sorte que ses figures paraissent avoir vécu réellement, avoir été prises sur le fait, en flagrant délit de ridicule, au moment où elles passaient dans la rue, sous les fenêtres de Care Vernet. » Charles Blanc
Au cours du Salon de 1808, événement considérable dans le monde des arts organisé par Vivant Denon, Napoléon Ier a l’occasion d’admirer « Le Matin d’Austerlitz » et séduit, remet au peintre la Légion d'honneur. Carle et Napoléon se connaissaient car ils s’étaient rencontrés pendant la campagne de Marengo. L’impératrice Joséphine lui dit : « Il est des hommes qui trainent un nom ; vous, Monsieur Vernet, vous portez le vôtre ».
S. M. l’Empereur donnant ses ordres aux Maréchaux de l’Empire, le matin de la bataille d’Austerlitz - Musée national du château de Versailles

Carle Vernet fut aussi… un assidu goguettier. C'est-à-dire un membre de la Société de la Goguette aux côtés du comédien Talma et de l’imprimeur et éditeur Firmin Didot, entre autres. Les goguettes étaient des associations consistant à se réunir en petit groupe amical de moins de vingt-cinq personnes (pour échapper à l’interdiction de groupements plus importants) afin de passer ensemble un bon moment et chanter. Cette pratique devient la base de nombreuses sociétés festives et carnavalesques .

« [La société de la Goguette] se réunissait tous les 15 jours, pour un diner sans faste, dans un petit local, justement calculé pour une table de 25 couverts occupés par des poètes, des musiciens, des peintres, des sculpteurs et même un médecin qui n’était pas fâché de se trouver, de temps à autre, avec de bons vivants.
Ces aimables confrères avaient d’autant plus d’esprit qu’ils cherchaient moins à en montrer, ils s’abandonnaient d’autant plus franchement à leur gaité naturelle, que personne ne tenait registre de leurs folies.
Les impromptus du poète, mis au même instant en musique par le compositeur, exécutés par le chanteur, fournissent quelquefois au peintre l’idée d’une caricature ; mais ces productions, enfants d’un joyeux délire, s’envolent avec lui et n’ont d’autre objet que de remplir agréablement l’heure qui les a vues naître. La salle était décorée simplement mais avec goût ; la table servie sans luxe, mais avec abondance. »
Sa femme meurt en 1821. Sur le tard, son succès s’atténue et il se consacre aux progrès de son fils Horace, auquel il voue, réciproquement, un amour profond, et de sa petite fille. Lors du Salon de 1831, le critique Auguste Jal déplore : « La peinture ne lui est plus guère permise. Au salon, deux réminiscences. On retrouve là une pauvreté d’effet qu’il ne faut pas trop reprocher à… un octogénaire ».
Le 19 novembre 1836, il passe la soirée au Palais-Royal, dans le café de Foy dont il est le plus fidèle habitué. On se régale de ses calembours, pour lesquels il est réputé. Mais une fluxion de poitrine l'emporte huit jours plus tard à 78 ans (pas tout à fait octogénaire, donc).
François Séraphin Delpech - Carle Vernet âgé

On estime que Carle Vernet fut un « artiste de transition » qui « rénova la tradition sans s'insérer pleinement dans les courants les plus neufs de la peinture de son temps ». Peu importe : sa vie bien vécue, sa virtuosité, son sens de l’observation plein d’humour et sa sensibilité suffisent amplement à séduire notre œil contemporain.
Bibliographie
Charles Blanc – Une famille d’artistes – Les trois Vernet - (Critique d'art 1813-1882)
Arthur Dinaux - article Société de la Goguette dans Les Sociétés badines, bachiques, chantantes et littéraires : leur histoire et leurs travaux, ouvrage posthume.
Histoire et monuments de Bordeaux -. Statue de Carle Vernet