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Par Liliane Mai 2025

Petites histoires au sein de la grande Histoire...
Celle d'Avignon est riche en anecdotes, tragiques ou cocasses.
Sede vacante
Le pape est mort… vive le pape ?
Les choses n’ont pas été toujours aussi simples, et il est arrivé à plusieurs reprises que la succession papale soit longue à se mettre en place… très longue.
Quand un pape meurt, s’ouvre la période du sede vacante, le siège vide. Le camerlingue est le cardinal chargé de constater le décès et de retirer « l’anneau du pêcheur » du doigt du défunt, c'est-à-dire l’insigne portant le sceau papal que le pape reçoit lors de son intronisation. Le camerlingue veillera aux affaires courantes de la curie en attendant l’élection du nouveau pontife.


Qu’est-ce exactement qu’un cardinal ? « Sanctæ Romanæ Ecclesiæ cardinalis », c'est-à-dire cardinal de la Sainte Église romaine, est un titre, pas une fonction, ils peuvent donc être aussi évêques ou exercer au sein de la curie. Ils portent la «pourpre cardinalice» issue du vêtement des sénateurs romain, symbole de pouvoir et de prestige, censée représenter également le sang du Christ, ainsi qu'un anneau de saphir, une croix pectorale, la crosse et la mitre.
Photographie Jakub Porzyckiafp
Jusqu’au XIIIème siècle, les papes sont élus par le clergé romain. Souvent la population s’en mêle, ainsi que les souverains d’Europe.
Depuis, cette élection se fait par un conclave, du latin « cum clave » (avec clef) réunissant les cardinaux de moins de 80 ans (au nombre de 135 cette année sur les 252 en poste), qui devront choisir le nouveau pape à la majorité des deux-tiers. Cela a quelquefois été très problématique.

Le conclave de 2013
Marcel Ier
Le record de sede vacante se situe entre octobre 304 et mai 308, soit trois ans et six mois, entre Marcellin et Marcel Ier, mais on parle ici d’une lointaine et obscure période de l’histoire de la curie romaine...
Marcel Ier


Célestin IV
Déjà en 1216, les habitants de Pérouse enferment les cardinaux pour les inciter à se décider plus vite. De nouveau, en 1241, le gouverneur de Rome emprisonne durant plus de deux mois les dix cardinaux chargés d’élire le nouveau pontife dans un palais délabré, sous la surveillance de gardes brutaux et dans des conditions d'hygiène déplorables, latrines pas nettoyées et refus d’envoyer un médecin aux prélats malades. Quand l’un des cardinaux meurt, et que les Romains menacent de déterrer la dépouille du précédent pape, ils se décident enfin à élire Célestin IV ; mais celui-ci affaibli par les mauvais traitements décède deux semaines plus tard.
Portrait imaginaire du XVIIIème siècle
Clément IV
Le cas se représente à la mort de Clément IV, en novembre 1268. Sa succession entraîne une longue vacance du siège papal. Une vingtaine de cardinaux se réunit au palais des papes de Viterbe, là où le pontife est décédé. Mais, malgré l’exhortation du cardinal Eudes de Châteauroux à être "unis dans la concorde", les querelles entre cardinaux français, majoritaires, et italiens, vont s’éterniser…
…durant 1006 jours.
Un cardinal italien et le premier cardinal hongrois décèdent avant la fin du scrutin. Le gouverneur de Viterbe soutenu par la population prend les choses en main : les portes du palais épiscopal sont scellées pour limiter les distractions et influences extérieures, les cardinaux bientôt réduits au pain et à l'eau. Le toit du palais est même retiré pour les exposer aux intempéries, sous le prétexte quelque peu ironique de « laisser le Saint-Esprit pénétrer directement à l'intérieur ».
Le roi de France Philippe III s’impatiente. Les cardinaux désignent six d'entre eux pour prendre enfin une décision : ce sera en faveur de Tebaldo Visconti, qui n'est ni cardinal ni même prêtre et se trouve à Saint-Jean-d'Acre pour la neuvième croisade. En février 1272, il arrive à Viterbe et accepte formellement le pontificat sous le nom de Grégoire X.
Il proclamera, deux ans plus tard, la bulle Ubi periculum (Où le danger…), qui établit le conclave comme méthode d'élection d'un pape : enfermement des cardinaux, interdiction de sortir ou de communiquer avec le monde extérieur et d’être soumis aux pressions politiques, privation de revenu tout au long du scrutin. Après trois jours sans résultat, ils seront rationnés à un seul plat quotidien, surveillés par des officiels. Au bout de huit jours, la diète est réduite à du pain, de l’eau et du vin. En jouant sur la fatigue, la faim et l’inconfort, le conclave, devenu un huis-clos, se joue autant dans la prière que dans la stratégie... et l'endurance physique.

Clément VI - Tour Ferrande Pernes les Fontaines
Célestin V
«Celui qui par lâcheté fit le grand refus» selon Dante et sa Divine Comédie, c’est le pape Célestin V. A la mort de Nicolas IV en 1292, le trône de saint Pierre reste vide durant vingt sept mois. Charles II, roi de Sicile et de Naples, manigance sans succès. Les cardinaux sont fustigés par un certain Pietro Angelerio dit Pierre de Morrone, bénédictin devenu ermite, âgé de 85 ans et quasi analphabète, qui les menace de vengeance divine s’ils ne désignent pas rapidement un chef spirituel à la chrétienté. Ils se décident en effet, pour l’élire pape.

Couronnement de Célestin V - Anonyme -
Destiné au prieuré des Célestins de Marcoussis
Consterné, Pierre de Morrone (du nom de son ermitage) commence par refuser puis accepte et se présente monté sur un âne et escorté par Charles II. Devenu Célestin V, élu avec l’espoir qu’il réforme l’Eglise dans une voie plus spirituelle que matérielle, il s’avère incapable d’en gérer l’administration et prend conseil du cardinal Caetani. Celui-ci l’incite à démissionner, avant d’être lui-même élu sous le nom de Boniface VIII…. et d’emprisonner Célestin V, qui meurt dix mois plus tard dans sa cellule.

Boniface VIII connaîtra un sort vengeur : emprisonné à son tour par Philippe le Bel, il en meurt d’humiliation en 1303, réputé « avoir vécu comme un loup, régné comme un lion et être mort comme un chien ».
Les disciples bénédictins de l’ermite prendront le nom de Célestins, que le pape Clément V nommera comme patrons du monastère qu’il fondera à Avignon tout en canonisant Célestin V.
Arrestation de Boniface VIII
Jean XXII
De nouveau, un « sede vacante » va s’éterniser, cette fois à Avignon : à la mort de Clément V en 1314, une scission se produit entre les dix cardinaux du « parti gascon » du pape défunt, les huit cardinaux italiens aux visées divergentes et les sept du parti provençal. Ils s’assemblent dans le palais épiscopal de Carpentras.
Les dissensions se répercutent dans la ville de Carpentras, où des bandes gasconnes massacrent des Italiens, pillent les demeures des notables et les hôtels des cardinaux, assiègent le palais épiscopal. Les souverains s’en mêlent, Edouard II d’Angleterre se détournent des Gascons après leurs excès à Carpentras, le roi d’Aragon est en faveur des Italiens, Philippe le Bel de même, qui impose la tenue du conclave à Lyon.

Celui-ci ne s’y tiendra qu’en mars 1316, dans les mêmes conditions drastiques que celles des précédentes élections problématiques : le comte de Poitiers, régent de France, fait enfermer les cardinaux dans l’église des Dominicains aux ouvertures murées. Après d'interminables intrigues où les alliances se font et se défont, les cardinaux sont épuisés. Ils finiront par élire Jacques Duèze, futur Jean XXII, âgé de soixante douze ans et d'allure fragile, dans l’espoir peut-être de sa mort prochaine… qui ne surviendra que dix huit ans plus tard !
Bibliographie
Duc de Castries - Orages sur l’église., saint Célestin V - Revue des 2 mondes
Didier Lett - Il processo di canonizzazione di Celestino V », Cahiers de civilisation médiévale - Alfonso Marini (éd.),
https://ladivinecomedie.com/la-divine-comedie/index/celestin-v-celestino-v