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Accueil  / Personnages / Les Vernet 1                                                                                                         Mai 2025

Les  VERNET

 peintres de père en fils

1 - Joseph, une enfance avignonnaise

      Quelle a pu être l’enfance d’un petit garçon précoce, né le 14 août 1714 à Avignon ? Il est bien regrettable qu’Antoine Vernet n’ait pas tenu de  « livre de raison »  à l’instar d’un certain Antoine-Alexandre Barbier, père de 18 enfants, à moins que son journal n’ait été perdu. Car il faut recourir à l’imagination et aux déductions pour se représenter l’enfance de Claude-Joseph, appelé couramment par son deuxième prénom.

A cette époque, la ville est toujours possession papale. Jusqu’en 1721, le pape est Clément XI, farouchement hostile au jansénisme. Les vice-légats qui la gouvernent, pour la plupart des cardinaux italiens, se succèdent à un rythme très rapide et sont fort impopulaires. Seuls les nobles et le clergé les soutiennent ; négociants, bourgeois, maîtres artisans préfèreraient déjà un rattachement à la France. Louis XIV n’a plus qu’un an à vivre, en une fin de règne austère et sombre.

Joseph Vernet - Vue d’Avignon depuis la rive droite du Rhône -  1757 -  Destiné à l'un de ses premiers clients, son compatriote Pierre-Gabriel Peilhon, Conseiller du Roi à Paris, et peint lors des voyages de Joseph

pour exécuter la série des "Ports de France" commandée parLouis XV.

Musée du petit Palais, Paris

Le père de Joseph, Antoine Vernet, né en 1687, dont le père était déjà peintre, est décorateur de chaises à porteurs. L’usage des carrosses n’est pas très répandu dans le midi, d’ailleurs les rues étroites et tortueuses d’Avignon ne s’y prêtent guère. On leur préfère les chaises à porteurs, mais on les veut décorées, dorées, emplumées: des peintres spécialisés et très demandés les ornent donc d’arabesques, de frises, de blasons, d’oiseaux exotiques, de fleurs et de paysages de fantaisie. Antoine Vernet est l’un de ces artistes… ou artisans, car les artisans décorateurs n’ont pas le statut des peintres d’églises ou de palais. Ils « ne suivent pas le roi ».

Musée de Versailles

La très large famille Vernet vit dans la paroisse de saint Geniès, quartier du Vieux Sextier. En effet, Antoine et son épouse Marie Thérèse Granier ont eu pas moins de vingt deux enfants, du moins selon son biographe du XIXème siècle, Léon Lagrange. La mortalité infantile étant alors terrifiante – un enfant sur trois meurt avant son premier anniversaire et un sur deux avant cinq ans – tous n’atteindront pas l’âge adulte. Comme Antoine et les siens quittent Avignon entre 1733 et 1742, neuf des enfants nés hors de la ville ne sont pas identifiés. Lorsqu’ils reviennent, Marie Thérèse est décédée, à quarante huit ans.

Vêtement de garçon

(Joseph Badger 1750)

Cette femme, probablement mariée à 18 ans, aurait donc passé les trente ans de sa vie adulte à être enceinte.

 

Entretenir une telle maisonnée pour un artisan peintre est une lutte constante. Le mode de vie devait être fort parcimonieux, toujours en espoir de commandes, en attente du paiement d’un travail exécuté, en crainte de la maladie, de l’épidémie (celle de peste en 1720 fut dévastatrice), de l’accident, de l’emprunt trop lourd à rembourser. Comment dans ces conditions pouvaient être habillés tous ces enfants ? Il est peu crédible que les enfants Vernet aient été vêtus selon les critères de la noblesse et de la bourgeoisie, à savoir les petites filles comme des femmes (corset compris) et les garçons comme des filles, en robe longue ornée de rubans. Il n’y a alors ni costume « populaire », ni régionaux ; les plus pauvres portent les tenues qu’on leur donne, ou qu’ils trouvent chez les fripiers. Il est probable que chez les Vernet, même habillés décemment, on se passe d’aînés en cadets les mêmes vêtements.

De façon générale, à cette époque les enfants participent activement aux cérémonies et aux fêtes tant religieuses que profanes, aux carnavals et aux rituels, aux processions. Lors des repas de famille (on imagine ce qu’ils devaient être chez les Vernet !) le service à table est assuré par les enfants : ils servent à boire, changent les plats, tranchent la viande. La prière en début de repas, les grâces, est souvent dite par le plus jeune.

 

Hogarth - Le banquet (détail) - Soane Museum Londres

Ont-ils le temps de jouer ? Poupées en chiffons cousus par la mère de famille, affiquets tels que cerceaux, balles rembourrées de crin, osselets, billes, toupies appelées « bourdons » ou « sabots » quand elles sont taillées dans de vieux sabots, les enfants modestes se contentent de jouets faciles à fabriquer. Sans oublier les tours pendables et les chahuts qui ne devaient pas manquer chez les Vernet.

Jean Baptiste Greuze – Le gâteau des Rois – 1774  Musée Fabre, Montpellier

Les garçons ont-ils fréquenté l’établissement des Frères des Ecoles chrétiennes ? C’est la principale communauté offrant une instruction aux garçons sans fortune, fondée par Jean-Baptiste de la Salle en 1684, et établie à Avignon dès 1703. On y enseigne la lecture, le chant, l’écriture, le calcul appelé jet. Le mot vient des «jetons» employés depuis le Moyen Age jusqu’à la Révolution pour compter. L’art du jet est « essentiel aux pratiques et affaires du siècle», le système monétaire étant alors fort compliqué. L’éducation comprend aussi  la « civilité » qui tient une place importante chez les Frères : savoir se comporter dans le monde, se tenir à table, pratiquer la bienséance et les bonnes mœurs. De plus, l’enseignement se fait en français, ce qui permet aux enfants qui ne parlent en famille que le « patois » provençal de se familiariser avec la langue. Toutes choses qui seront fort utiles lors de l’ascension sociale de Joseph Vernet.

Cesare Mariani - Jean Baptiste de la Salle enseignant - Musée du Vatican

Il semble que pas un seul des enfants soit entré dans les ordres. Ce qui est quasiment la règle chez les familles nombreuses de la noblesse ou de la riche bourgeoisie ne vaut pas pour les plus modestes. Le sentiment religieux n’y est pas aussi prégnant ; de plus, dans la société des artisans et petits marchands, il est moins coûteux de marier ses enfants que de les établir en religion car l’entrée au couvent n’est pas gratuite. La dot est en effet indispensable.

 

L’intimité telle que nous la concevons n’existe pas, même dans les demeures opulentes car toutes les pièces sont en enfilade. Dans les maisons modestes, vie privée et vie professionnelle se confondent souvent dans la même salle qui cumule toutes les fonctions. Voir son père pratiquer son métier dès que le jour pointe ne peut qu’encourager ses fils, voire ses filles, à l’imiter et la transmission se fait tout naturellement.

De toute façon, l’enfance est brève sous l’Ancien Régime. Dès l’âge de sept ou huit ans, les enfants sont mis au travail, soit dans les champs, soit à l’atelier.

 

Quatre des fils d’Antoine Vernet deviendront peintres. Joseph, quatrième de la fratrie et aîné des garçons, va connaître une renommée qui dépassera de loin et très vite, celle de son père et de ses frères.

Dès l’âge de cinq ans, il dessine avec talent des visages. A huit ans, son père lui offre un chevalet et une palette. Il faut alors fabriquer soi-même sa peinture, en broyant des pigments dans de l’huile : cinabre (rouge foncé), lapis-lazuli (rare et très cher pour un superbe bleu outremer), malachite (vert), orpiment (jaune or), la garance pour un rouge vif. Le mélange durcit et doit être renouvelé chaque jour. Il ne s’agit pas de gâcher.

 

D’autres pigments sont franchement toxiques : le blanc de plomb, le jaune de Naples à base de plomb et d’antimoine, le vermillon à base de sulfate de mercure, le brun Van Dyck à partir d’oxyde de fer et de noir de carbone, le «caput mortuum», ou tête morte, issu de la calcination du sulfate de fer, l’arséniate de cuivre particulièrement dangereux pour obtenir le vert Véronèse. Les pigments de couleur blanche proviennent du badigeon de plomb, du gypse et de la craie, tandis que les noirs sont issus d’ivoire ou d’os brûlés, de la suie des lampes à huile et de vignes calcinées. Toute une alchimie à maîtriser !

Jan van der Straet – L’invention de la peinture à l’huile – détail du broyage de pigments – Collection privée

Antoine Vernet bénéficie peut-être d’un espace extérieur pour peindre ses portières de chaises à porteurs, mais la maison doit grouiller en permanence d’agitation et de bruit. La promiscuité doit être particulièrement éprouvante dans une telle maisonnée et bientôt Joseph s’installe une chambre-atelier dans le grenier pour y trouver un peu de calme. Il dispose de peu de modèles, quelques reproductions en plâtre, des gravures, mais rapidement il préfère aller peindre sur le vif,  en paix, dans la nature parmi les arbres de la Barthelasse, ou tenter de capturer les reflets du Rhône.

 

A quinze ans, Joseph seconde son père en décorant chaises à porteurs, carrosses, dessus de porte, trumeaux, et la salle à manger d’un cardinal dont on n’a pas retenu le nom. Ses fruits en particulier lui valent beaucoup d’éloges, ce qui finit par rendre son père quelque peu jaloux.

Il se fabrique un châssis qu’il tend d’une toile et peint un paysage. Le cardinal, séduit par son talent, lui achète le tableau. Il n’est pas le seul à être conquis. Jacques Vitali, un ami et collègue d’Antoine Vernet qui habite Aix mais possède une vigne au Mont de Vergues dans le village de Montfavet, est lui aussi admiratif et prend Joseph comme élève, qu’on désigne alors par le terme « fils élevé » le maître étant le « père nourricier ».

Aix est le siège du parlement de Provence, une ville opulente qui sert d’escale pour les peintres se rendant en Italie, séjour obligatoire pour qui veut faire carrière. Joseph est influencé par l’œuvre de Jean Baptiste de la Rose (mort en 1687), ancien directeur des travaux de peinture à l’arsenal de Toulon. Devenu peintre de marine, il avait été très apprécié par les grands seigneurs de la Cour et Charles Le Brun entre autres. Joseph étudie également avec Philippe Sauvan, élève, ami et quelque peu rival de Pierre Parrocel, qui œuvre surtout à Avignon.

Le jeune homme attire l’attention de Joseph François Xavier de Seytres de Peryssis, marquis de Caumont, amateur d’art et archéologue réputé, qui le recommande à son amie Pauline de Simiane, petite fille de la marquise de Sévigné, alors veuve.

 

Caumont commande pour la rénovation de l’hôtel de Simiane des dessus de porte alors que la marquise se plaint de ne pouvoir les financer ; finalement, conquise par le résultat, elle en garde douze (toujours en place). Quant à les payer… un proverbe de l’époque ne dit-il pas : «Gueux comme un peintre... »

Jean Valade - Le marquis de Caumont - Musée Calvet

Cependant, Joseph Vernet trouve un second protecteur à Avignon en la personne de Jean Raymond de Villardy, comte de Quinson, secrétaire du roi près le Parlement de Provence et mousquetaire, qui le pousse à aller à Rome, seul endroit valable pour acquérir une bonne réputation, Paris n’étant pas suffisamment considéré en la matière. Le roi octroie bien des pensions aux grands prix de l’Académie, mais le jeune Joseph préfère se rendre directement en Italie. Les nobles Avignonnais qui se veulent amateurs d’art se plaisent à y envoyer et entretenir des talents prometteurs, quitte à se cotiser. Les boursiers doivent en retour procurer des œuvres à leurs mécènes, copies ou tableaux originaux en témoignage de leurs progrès et de leur reconnaissance. De nombreux artistes provençaux bénéficient de cette manne sans être obligés de passer par l’Académie de Paris. Cependant le marquis de Caumont sollicite pour lui une pension de l’Académie de France à Rome, laquelle ne subventionne que les futurs peintres d’Histoire. Antoine Vernet lui-même participe aux frais du voyage, en donnant à son fils 200 livres sur ses économies.

Jean Raymond de Quinson

Au début de l’année 1734, Joseph, âgé de dix-neuf ans, quitte donc Avignon pour Marseille en coche. Voyage très lent, très long, en direction de Marseille. Là, il découvre la mer, et il est subjugué. Il sort son carnet à dessins et laisse la voiture repartir sans lui, dessinant jusqu’au soir avant de se hâter de retrouver l’auberge où les voyageurs ont fait halte. En attendant le bateau pour Civita Vecchia, il s’efforce de capturer la vue qui l’a ébloui. Plus tard il dira : « Le plus mauvais tableau que j’ai peint de ma vie, mais combien j’aurais donné pour le retrouver dix ans après, à mon retour de Rome ! »

 

Rome où il restera dix ans, où il étudiera et se mariera, avant de revenir en France, à Paris, où l’attend une brillante carrière.

Bibliographie

 

Philippe Ariès – L’enfant et la famille sous l’Ancien Régime

Léon Lagrange -Joseph Vernet et la peinture au XVIIIe siècle : les Vernet / avec le texte des livres de raison. 1864 - Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Dominique Dinet - Presses universitaires de Strasbourg -Au cœur religieux de l’époque moderne - Familles nombreuses et engagement religieux (XVIIe-XVIIIe siècles)

Marcel Grandière - Quelques observations sur l'enfant au XVIIIe siècle

M. Gresset – Une famille nombreuse au XVIIIème siècle

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