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LES FEMMES d'AVIGNON   1

Aye d’Avignon

Jeune fille à vendre et échanger.

      Au IXème siècle, à  la mort de son père Antoine, duc d’Avignon, de Marseille et de Valence, Aye est mariée par son oncle Charlemagne au sénéchal Garnier de Nanteuil. Cependant Béranger, fils de Ganelon le traître, prétend qu’elle lui avait été promise par Antoine. Devant suivre Charlemagne à la guerre, Garnier confie sa jeune épousée à une escorte chargée de la ramener à Avignon.

Béranger la rattrape mais elle s’échappe en se jetant dans une rivière. Des pêcheurs témoignant avoir vu une fée d’une grande beauté gagner un couvent proche, les fidèles de Garnier l’y retrouvent et la conduisent dans son palais d’Avignon.

Béranger donne l’assaut et la ville est mise à sac, Aye est enlevée et emmenée dans une forteresse que Charlemagne et Garnier de retour, assiègent. Béranger s’enfuit en bateau avec Aye jusqu’aux Baléares. Là, le roi musulman, Ganor, jeune, séduisant et séduit, propose d’acheter Aye pour son poids en or. Mais Béranger comptait la proposer au roi des Sarrazins, Marsilion, cousin de Ganor, qui deviendrait ainsi apparenté à Charlemagne et éventuellement son héritier.

 

Segneurs, or faites pes, que Diex vous puist aidier!

S'orrez bone cha[n]çon qui moult fait a prissier,

si comme Charlemaine fist alever Garnier,

et la franche roïne, qui moult le tenoit cher…

Ganor enferme Aye avec trois reines musulmanes pour la servir et la convertir, mais c’est Aye qui les convertit. Marsilion frustré s'en prend à Ganor qui recrute des mercenaires. Garnier s’enrôle, tue Béranger et Ganor est vainqueur. Désirant faire un pèlerinage à la Mecque avant d’épouser Aye, il confie son royaume à Garnier ; dès son départ, celui-ci délivre son épouse et ils regagnent Avignon, sans avoir touché aux richesses de Ganor.

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Neuf mois plus tard, Aye met au monde Guy de Nanteuil, dit Guyot.  Pendant ce temps, Ganor déguisé en vieux pèlerin se rend à la foire d’Avignon et kidnappe Guyot : Aye ne le reverra qu’en épousant Ganor, mais elle ne cède pas au chantage. Ganor élève Guyot en parfait chevalier.

Garnier est tué par le duc de Milon qui tombe amoureux d’Aye et l’assiège de nouveau à Avignon avec l’assentiment de Charlemagne. Guyot promet alors à Ganor que s’il secourt sa mère, il l’acceptera comme beau-père. Au cours de la bataille, Guyot abat l’assassin de son père. Ganor délivre Avignon et pour épouser Aye,  se convertit avec ses troupes ; les récalcitrants sont décapités.

Guyot de Nanteuil devient duc d’Avignon. Aye et Ganor, rentrés aux Baléares, auront un fils, Antoine.

Aye d'Avignon est l'une des chansons de geste, en 4136 alexandrins, qui forment le cycle carolingien. Ecrite au XIIème siècle, elle est conservée à la Bibliothèque nationale de Paris dans un manuscrit du XIVème siècle.

 

Historiquement, Aye, ou Agia ou encore Lampagie, aurait été une princesse franque qui épousa en 721 l’émir Abi-Nessa, gouverneur de Cerdagne et des Pyrénées, et vécut dans le sérail de Damas.

 

Dans les récits du haut Moyen-Age, la femme semble  n’être qu’un enjeu dans une politique fondée sur le mariage et les alliances, un objet manipulable au gré d’intérêts qui la dépassent, outil d’une transmission de la terre ou d’un fief.

Cependant, les choses ne sont pas si simples. Les biens de la femme sont protégés ; à moins d’un abandon volontaire de ses droits, elle conserve un pouvoir sur ses possessions. L’époux est plus l’administrateur que le propriétaire de la dot, qu’il doit employer pour le bien du mariage et en cas contraire, l’épouse a un recours.

 

Aye a un caractère affirmé : elle ne veut pas de Bérenger ni de Milon et provoque l’admiration de la cour par sa fermeté. Elle soutient son mari, traverse à la nage une rivière pour échapper à ses ravisseurs, affronte ses nombreuses aventures et impose sa foi à Ganor avant de l’épouser.

LAURE DE SADE

Entre idéal et réalité

Laure -Fr Consonove 1872-Calvet.jpg

    Bien que l’identité de Laure fasse toujours l’objet de querelles entre érudits, il semble qu’elle ait été la fille d’Ermessande de Réal et du chevalier Audibert de Noves. Laure participait à une cour d'amour présidée par sa tante Phanette de Gantelmes, où dames et troubadours faisaient assaut de courtoisie et de poésie. Juste pour le plaisir, quelques uns des noms que portaient ces dames : Huguette de Forcalquier de Trets, Briande d’Agout de Lune, Ysoarde de Roquefeuil d’Ansoys, Doulce de Moustiers de Clumane, Rixandre de Puyverd de Trans…

 

Elle épousa Hugues II de Sade en 1325, à l’âge de 15 ans. Hugues était issu d’une des plus illustres familles marchandes d’Avignon. Son grand-père Garnier de Sade avait été chenevassier (chanvrier). Grâce à sa fortune considérable il avait été syndic au Conseil de Ville. Ses armoiries sont toujours visibles sur la première arche du pont saint Bénézet dont la famille de Sade participait à l’entretien.

 

C’est le 6 avril 1327, alors qu’elle sortait de l’église du couvent sainte Claire,

qu’elle fut remarquée par François Pétrarque (1304-1374, poète d’origine florentine considéré comme le premier humaniste et initiateur de la langue italienne moderne) qui lui voua une passion platonique à l’origine des 366 sonnets et chansons formant les célèbres Canzoniere.

François Consonove - 1872 - Monument en l'honneur de Laure et Pétrarque - Musée Calvet

Béni soit le jour et le mois et l’année,
La saison et le temps, l’heure et l’instant
Et le beau pays, le lieu où fus atteint
Par deux beaux yeux qui m’ont tout enchaîné.

 

Elle eut néanmoins onze enfants, dont le troisième, Hugues III, s’installa pour ses affaires à Apt avant de revenir à Avignon dans une maison de l’actuelle rue saint Agricol. Sans certitude, il pourrait être l’ancêtre du célèbre « divin marquis » de Sade.

Laure mourut au cours l’épidémie de peste noire en 1348 sans avoir jamais répondu à l'amour de Pétrarque, et fut inhumée dans la chapelle des Sade, aux Cordeliers. Le poète Maurice Scève et François Ier vinrent s’y recueillir.

L’existence même de la Laure de Pétrarque a été mise en doute, bien que le poète ait écrit : « Il est dans mon passé une femme à l'âme remarquable, connue des siens par sa vertu et sa lignée ancienne et dont l'éclat fut souligné et le nom colporté au loin par mes vers. Sa séduction naturelle dépourvue d'artifices et le charme de sa rare beauté lui avaient jadis livré mon âme.»

LA REINE JEANNE

 

La reine aux quatre maris

       Née en 1325, Jeanne était la fille du duc de Calabre et de Marie de Valois, sœur du roi de France Philippe VI. Orpheline très jeune, elle fut désignée héritière du royaume de Naples par son grand-père qui la maria à André de Hongrie, tous deux étant âgés de huit ans.

Reine de Naples à 18 ans, elle eut parmi ses tuteurs Philippe de Cabassole, cardinal du pape Clément VI. La cour de Naples était minée par la rivalité des oncles de Jeanne. C’est la famille de Duras qui prit l'avantage en mariant Charles II de Duras à Marie, la sœur de Jeanne.

André fut assassiné en 1345 : que Jeanne ait été l’instigatrice du meurtre ou pas, les avis sont partagés. Le frère d’André, Louis de Hongrie, en profita pour tenter d’annexer le royaume de Naples. Dès 1346, Jeanne épousait à Naples son cousin Louis de Tarente. Devant l’avancée des troupes hongroises, elle embarqua pour la Provence tandis qu’à Naples, Louis de Hongrie faisait décapiter Charles de Duras.

Jeanne  reçut un accueil chaleureux à Marseille, moins à Aix-en-Provence, et arriva à Avignon pour rencontrer le pape Clément VI. Elle voulait obtenir une dispense pour son mariage avec son cousin, être disculpée du meurtre d'André et préparer la reconquête de son royaume. Le pape accéda à ses demandes et lui acheta la ville d'Avignon pour 80 000 florins.

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Dessin de Louis Boudan

Louis de Tarente, autoritaire et brutal, s’occupa surtout de consolider son pouvoir et fit exécuter le favori de Jeanne. La paix fut proclamée entre Naples et la Hongrie. Cependant la Provence, en théorie administrée par le royaume de Naples, était abandonnée aux pillages des « grandes compagnies ». Louis de Tarente mourut en 1362.

La reine prit une série de mesures populaires, puis épousa Jacques de Majorque, plus jeune d’une dizaine d’années, rendu à demi fou par son emprisonnement dans une cage de fer, durant quatorze ans, sur ordre de son oncle Pierre IV d’Aragon. Il tenta de reconquérir le royaume de Majorque mais mourut en 1375.

 

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Emile Lagier - 1887 

La Reine Jeanne devant Clément VI

Jeanne connut un calme relatif grâce à son entente avec Urbain V puis Grégoire XI, et le traité de paix  avec Louis d'Anjou. Sans enfants vivants, elle épousa le capitaine Othon de Brunswick qui avait contribué à lui faire récupérer ses terres du Piémont, ce qui lui attira la colère de Charles III de Duras qui se rapprocha de Louis de Hongrie. C'était l’époque du « grand schisme », avec l’élection deux papes.  Jeanne se prononça pour Clément VII d'Avignon et lui avança 50 000 florins, mais Urbain VI à Rome rassembla ses ennemis, le roi de Hongrie et Charles de Duras. En 1382 elle fit appel à Clément VII qui lui conseilla d'avoir recours à Louis d'Anjou. En échange de son aide elle l'adopta à la place de Charles de Duras. Celui-ci descendit vers Naples à la tête d'une armée. Othon de Brunswick ne parvint pas à l’arrêter. Charles III assiégea la reine qui dut capituler et fut emprisonnée. Louis d'Anjou arriva trop tard à son secours. Charles avait fait assassiner Jeanne le 27 juillet.

Acte de vente d'Avignon

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Le séjour de Jeanne à Avignon, en 1348 en pleine Peste noire, fut très bref. Elle avait logé au « palais de la Reine Jeanne » qui ne servit qu'à cette occasion. Il devint par la suite livrée cardinalice puis prieuré saint Martial (dans l'actuelle rue Jean-Henri Fabre). Pourtant, la personne fort controversée de la reine et son destin tragique sont à l’origine de toute une mythologie en Provence. Châteaux, ponts, routes lui sont dédiés, ainsi qu'un quartier extra-muros d'Avignon.

On dit même que le campanile de la Tour Ferrande de Pernes les Fontaines reproduit les courbes de sa silhouette…

A moins que la véritable reine Jeanne célébrée par les Provençaux soit Jeanne de Laval, à la personnalité toute différente, la seconde épouse du roi René d’Anjou, qui régna avec lui plus de vingt ans sur la Provence avec probité et générosité.

Marie Robine

La confinée d’Avignon

    Marie d’Avignon ou Marie la Gasque, née dans une famille pauvre du Béarn, vint dans la cité papale  attirée par la réputation des miracles sur le tombeau de Pierre de Luxembourg, pour être guérie de sa paralysie d’un bras et d’un pied. Ce qui fut obtenu. Clément VII lui accorda une pension annuelle de 60 florins à partager avec son confesseur et une servante, et elle s’installa en tant que recluse dans le cimetière du Corps Saint près des restes du cardinal. Seule une fenêtre grillagée lui permettait d’échanger avec l’extérieur.

 

Elle commença à avoir des visions prophétiques qui convenaient fort à Benoit XIII, l’anti-pape obstiné. Marie de Blois, comtesse de Provence, conforta la « Visionnaire d’Avignon » qui se rendit à Paris pour rencontrer la reine Isabeau de Bavière. Or l’Assemblée générale de l’Église de France qui devait débattre de la papauté d’Avignon afin de mettre fin au schisme lui interdit formellement d’y assister. L’Assemblée opta pour la « voie de cession » obligeant les deux papes à démissionner, ce que refusa Benoît XIII. Au retour de Marie en 1399, il ne lui accorda pas audience. Ses visions fantasmagoriques se multiplièrent, condamnant Benoit XIII comme le roi de France Charles VI (devenu fou, la régence était assurée par Philippe le Hardi).

 

Elle se retira dans sa cellule du cimetière et y mourut le 16 novembre.

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Illustration représentant Colette de Corbie, en Picardie,

recluse à la même époque.

    A la fin du Moyen-Âge la mystique féminine connaît un grand essor à partir des couvents. Les femmes entraînées dans le mysticisme pensent entretenir une relation privilégiée avec le Christ, revivent la passion, portent les stigmates, expérimentent des extases et rapportent des visions célestes ou prémonitoires.

 

La réclusion est un phénomène fréquent en ville, très souvent vécue par des femmes : prostituées repenties, veuves sans ressources, épouses maltraitées, et mystiques auto-proclamées. Elles se murent dans une cellule exiguë, se vouant à la prière, vivant de la charité publique. En effet les recluses dépendent entièrement de la collectivité. Elles ont besoin d’une servante, qui les ravitaille et nettoie le local. Avant d’être un exemple et un symbole, le reclus ou la recluse est un instrument de la pénitence et de la prière collective : il faut penser à la mort et au Jugement dernier, faire l’aumône, prier. Son sacrifice personnel doit servir à la communauté entière. Il ou elle ne s’exclut pas, mais au contraire, s’inclut dans la communauté des croyants.

Madeleine Lartessuti 

 

Une femme d’affaires : bijoux, armement et galères

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L'arsenal de Marseille en 1584

     Dans la chapelle saint Martial du Palais des Papes on peut voir un graffiti de 1510 au nom de Joachim de Sauze, c'est à dire de Sade, lequel était capitaine du Palais et époux de Madeleine Lartessuti

 

Madeleine était l'un des enfants légitimés de Pons Lartessuti, célibataire, d’une vieille famille avignonnaise, et de Thore de Médicis, fille de Verio de Médicis, changeur à Avignon, séparée de son mari. Madeleine, née avant 1475, épousa en 1492 Joachim de Sade. Pons Lartessuti lui constituait une dot de mille écus d'or, accompagnée de vêtements et de joyaux.  Cependant quand elle rejoignit son mari à Rome, elle dut emprunter à sa belle-sœur Baroncelli 30 écus d'or en lui donnant en gage une bague d'or garnie d'un diamant qui sera reconnue « fausse et de nulle valeur ». Elle commença dès lors un commerce de bijoux et de médailles antiques ; le cardinal Julien de la Rovere, amoureux d’elle, lui fournit « une boîte pleine de joyaux et de pierres précieuses ".

Fort négligée à Rome par son mari, elle fut victime du vol par ses domestiques de pierres d'une valeur de 800 ducats d’or. S’étant enfuis en France, les voleurs offrirent des bijoux à la princesse d'Orange et à la duchesse de Nemours, qui les firent échapper à la prison…

Au cours d'un de ses séjours à Avignon, Joachim de Sade fut nommé capitaine ayant la garde du Palais et de sa porte d'entrée avec douze hommes fidèles et idoines du Palais. Il se fit alors remettre les vingt-sept clefs des portes du palais (et grava son nom dans la chapelle).

La rupture définitive entre les époux eut lieu quelques années plus tard, pour cause de  « mauvais traitements » de la part du mari  qui cessa d'habiter avec elle et de l’entretenir. Désireux de s’approprier  la dot de Madeleine, il l'obligea à signer une  transaction qu’elle accepta par crainte de son mari et la faiblesse naturelle à son sexe. Joachim de Sade devait être fort dépensier, car il emprunta de l’argent à Jacques de Baroncelli ; comme il n’honorait pas sa dette, il dut comparaître devant la Cour temporelle.

 

Madeleine Lartessuti s’installa à Marseille où elle commença à organiser tout une chaîne commerciale en Méditerranée. En 1516, François Ier, âgé de 21 ans, visita la ville. Elle mit alors ses navires à son service et serait par la même occasion devenue l’une de ses innombrables maitresses.

Elle se lia surtout avec Bernard d'Ornesan, baron de Saint Blancard, officier des galères, fait plus tard général et marquis des Iles d 'Or par François Ier. A ses côtés, Madeleine joua, pendant près de vingt ans, le rôle non seulement de compagne mais aussi de commanditaire et associée, directrice commerciale des armements et des prises, gagnant ainsi une place de premier plan dans le commerce et l'armement marseillais, au centre d’un réseau de marchands avignonnais qui commerçaient d’Espagne jusqu’à Alexandrie ; sans toutefois cesser de réclamer justice pour la transaction frauduleuse qui lui avait été arrachée par Joachim de Sade.  

 

En 1536, Ornesan ayant suivi le roi à Amboise, elle revint à Avignon, non sans craindre le ressentiment de son mari. Celui-ci accepta à condition qu'elle y vive honnêtement et honorablement, promettant de ne la molester ni inquiéter. Elle continua à s'occuper de ses affaires. Joachim de Sade mourut  en 1539.

Elle-même mourut en 1543 ; elle avait légué ses biens à l’hôpital sainte Marthe pour les « pauvres malades ». Elle fut inhumée dans le tombeau qu'elle avait fait édifier dans la chapelle saint Vincent Ferrier chez les Dominicains d'Avignon.

Catherine Bermon

Guérisseuse donc sorcière

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     A la fin du XVIème siècle à Avignon, Catherine Bermon, âgée et borgne, épouse d’un muletier du quartier de la Banasterie, était une guérisseuse et sans doute aussi une sage-femme, seul recours des pauvres gens. Ses remèdes étaient constitués de plantes et d’herbes, tout un savoir ancestral, probablement accompagné d’incantations mystérieuses et de prières à des saints et saintes variés.

Au cours d’une recrudescence de procès en sorcellerie, peut-être dénoncée par jalousie ou vengeance elle fut accusée par les autorités religieuses d’être une sorcière. Torturée, elle refusa d’avouer toute implication du diable et de ses suppôts, et il se peut qu’elle échappât au bûcher.

Sorcières sages-femmes et infirmières

Les éditions du remue-ménage (1976)

    Dans le climat de violences et d’incertitudes des XVème et XVIème siècles, l’image du diable, jusque là peu présente, devient le Mal incarné et les traités de démonologie le concrétisent. Ce sont surtout les femmes, incarnation du péché originel, qui sont accusées de sorcellerie et d’adoration du démon. Les procès en sorcellerie se développent majoritairement entre les années 1560 et 1660.

La majorité des « sorcières » étaient en réalité des sages-femmes et des guérisseuses, plus généralement celles qui détenaient un savoir et par extension un certain pouvoir, qui connaissaient la pharmacopée et des pratiques médicinales ancestrales que les théologiens ne reconnaissaient pas et craignaient. Assimilées aux hérétiques, prétendument liées au Malin, elles devenaient des sorcières à chasser et éliminer. La chasse aux sorcières se fit en parallèle de la naissance de l'humanisme, de l'émergence de la raison et du monde rationnel moderne.

Juliana Morell

 

Surdouée et exploitée

    Née à Barcelone en 1594, très tôt orpheline de mère, elle étudia dès l’âge de quatre ans le latin, le grec et l’hébreu .

Accusé de meurtre, son père s'enfuit à Lyon avec elle. Elle y poursuivit ses études, philosophie, métaphysique, rhétorique, musique, droit canonique et civil. À l'âge de douze ans, elle parlait sept langues et défendait en public ses thèses summa cum laude sur l'éthique et la dialectique, que son père fit éditer et envoyer aux souveraines d’Europe.

 

Il s’installa à Avignon afin qu’elle puisse préparer un doctorat en droit, qu’elle soutint et obtint en 1608 devant le vice-légat Joseph Ferrier.

Surnommée « la doctoresse », exploitée par son père qui publiait chacun de ses écrits mais voulait la marier, emplie de doutes sur sa propre foi, elle entra chez les Dominicaines de sainte Praxède. Son père furieux refusant de la doter, le pape et le cardinal de Joyeuse vinrent à son aide. Elle entreprit la traduction des œuvres de Vincent Ferrier, accompagnée de commentaires savants, composa des poèmes latins en l’honneur de la Vierge, devint maîtresse des novices et prieure à trois reprises, fit agrandir le couvent saint Praxède.

Elle mourut en 1653 après une longue agonie.

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     « Quatrième des Grâces et la dixième Muse », « Ange qui a publiquement enseigné toutes les sciences depuis les chaires d'enseignement et dans les écoles » selon Lope de Vega (poète espagnol contemporain de Juliana), elle fut la première femme à obtenir un diplôme universitaire. Le couvent était alors (et pour longtemps) le seul moyen d’échapper à un père tyrannique et un mariage qui lui aurait probablement ôté toute possibilité d’exercer ses capacités intellectuelles. On peut rêver à ce que celles-ci lui auraient permis de faire de nos jours !

Marguerite Bramereau

Mathématicienne en herbe

    Marguerite (de) Bramereau naquit en 1642 à Avignon, fille de Louise et  Jacques Bramereau, imprimeur de sa sainteté, de la ville & université. La famille comptait quatre générations d’imprimeurs, de 1590 à 1681.

 

Envoyée à dix ans chez les Ursulines de l’Isle sur la Sorgue, premier couvent ursulin construit en France, elle y fut « répétitrice », c'est-à-dire la meilleure élève chargée de faire réciter les leçons à ses compagnes. En se basant sur l’exemple des collèges jésuites, la Compagnie de sainte Ursule avait créé un système éducatif nouveau, en français, destiné aux filles : formation à la correspondance, au droit, à la comptabilité et aux tâches ménagères, cours de langue, de rhétorique, théâtre, musique, danse, dessin, broderie. « Les Meres Regentes auront un grand soing de bie(n) instruire leurs filles : & apres la crainte & amour de Dieu, qu’elles doivent graver en leur cœurs, elles les aprendro(n)t à bie(n) lire en Latin & en François, à escrire, conter, chiffrer à la plume, & aux gets, & leur apprendront toute sorte d’ouvrage & de mestiers ; afin que les pauvres puissent gaigner leur vie. » Les familles riches avaient accès à un internat payant, tandis que les familles plus pauvres bénéficiaient d'un externat gratuit. Le public visé était la bourgeoisie, dont la famille de Marguerite était un exemple : Jacques Bramereau, avec son statut d’imprimeur de la ville, était un bourgeois relativement aisé.

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Marguerite revint chez ses parents deux ans plus tard avec un traité, Rudiment d’arithmétique, que son père et son frère, admiratifs, décidèrent aussitôt de publier, en ajoutant d'ailleurs une particule à Bramereau. L’adresse aux lecteurs rend hommage à l’éducation reçue par les « révérendes mères » et le contenu fait constamment référence aux Évangiles : les neuf nombres évoquent les chœurs des anges, l'auteure n’étant qu’un « petit zéro » ; le chiffre trente évoque les deniers de Judas, etc. Le traité tendait à ressembler à un « livre de raison », c'est-à-dire de comptes, que toute bonne ménagère se devait se tenir, et prenait comme exemples des transactions marchandes et les actions de nobles personnages vendant leur blé ou répartissant des aumônes.

La jeune fille s’était promis de rédiger un ouvrage plus savant, mais on n’en a pas trace. Sans doute l’a-t-on mariée et le temps lui a manqué ?

 

 

   

    Marguerite Bramereau est l’une des deux seules Françaises à avoir publié un ouvrage de mathématiques au XVIIe siècle. Le fait qu’elle soit une fille, autant que sa jeunesse, à l’époque de la publication, fait de son traité une rareté. Les cercles académiques et aristocratiques des milieux savants acceptaient quelques femmes ; mais si l'une d'elles revendiquait sa maîtrise de la logique et des sciences et parlait du savoir des femmes, elle apparaissait comme pédante et trop masculine. A la même époque, des musiciennes furent dissuadées d'apprendre l'art de la fugue, jugé trop mathématique…

Diane Joannis marquise de Ganges

La belle assassinée

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    Diane de Joannis de Chateaublanc, marquise de Castellane, naquit en 1635 à Avignon. Réputée être une arrière-petite-nièce de Nostradamus, orpheline de père, elle fut élevée par sa mère et son grand-père, Melchior Jacques de Joannis de Nochères, rue de la Bonneterie. Elle fut mariée à l'âge de 13 ans au  marquis Dominique de Castellane, qui l'emmena à Versailles. Surnommée « la belle Provençale », elle fut remarquée par le jeune Louis XIV et dansa avec lui. Mais, nommé gouverneur des galères royales, son mari se noya en Méditerranée en 1654.

La marquise se retira à Avignon. La reine Christine de Suède s’éprit d’elle lors de son passage dans la ville, et le duc de Candale, arbitre de l’élégance parisienne, lui fit la cour.  

 

Elle se remaria en 1658 avec Charles de Vissec de Latude, marquis et gouverneur de Ganges, baron des États de Languedoc, lieutenant du roi de la Finance du Languedoc, commandant du Fort Saint-André à Villeneuve-lès-Avignon. Ils habitaient place Pignotte et eurent deux enfants.

En 1663 à la mort de son grand-père, Diane devint la légataire de ses vastes biens. Le droit avignonnais lui laissant la maîtrise de sa fortune, elle la légua à ses enfants en déshéritant son mari, ce qui désavantageait ses beaux-frères, Henri dit l’Abbé et Bernardin le chevalier, qui vivaient aux crochets de leur frère aîné. Ceux-ci, furieux, l’obligèrent à vivre à Ganges, à l’écart des siens, et la harcelèrent pour qu’elle modifie son testament, ce qu’elle finit par faire. Prisonnière, maltraitée, elle redoutait avec raison d’être empoisonnée. Avec la complicité d'un prêtre, l'abbé Perrette, ses beaux-frères la contraignirent à avaler un breuvage brunâtre qu'elle vomit en se glissant dans la gorge une de ses nattes avant de sauter par la fenêtre de sa chambre et à se réfugier chez des amis. Ses assassins la poursuivirent et l'achèvent à coups d’épée devant témoins.

Elle mourut dix-neuf jours plus tard.

 

Bien que son mari fût alors absent et que Diane l’ait innocenté pour préserver l'honneur de ses enfants, il fut condamné au bannissement pour sa complicité passive et à la confiscation de ses biens. Rentré clandestinement dans les États pontificaux, il mourut à 99 ans.

L'abbé et le chevalier furent condamnés par contumace à être rompus vifs mais ils étaient introuvables. L'abbé Perrette envoyé aux galères, mourut rapidement. Henri enfui en Hollande se convertit au calvinisme et se maria. Le chevalier fut tué en Crète durant un siège contre les Turcs.

Alexandre, le fils de Diane, colonel de Dragons, baron des États de Languedoc, fut un ami du comte de Grignan, gendre de la marquise de Sévigné. Marie-Esprite la fille de Diane épousa en deuxièmes noces Paul de Fortia d'Urban, marquis de Fortia.

    L'assassinat de la marquise de Ganges provoqua une grande vague de compassion : le crime perpétré contre une femme réputée aussi belle que sage, appréciée du roi lui-même, était atroce, et entachait la réputation d’une ancienne et noble famille du Languedoc. Le destin tragique de la marquise de Ganges donna lieu à de multiples interprétations littéraires, théâtre, poèmes, romans, y compris par le marquis de Sade et Alexandre Dumas.

 

Elle illustre une facette de la condition des femmes à l'opposé de celle de Madeleine Lassertussi : impuissante à exercer ses droits et victime expiatoire de la violence masculine au sein de la famille qui aurait dû la protéger.

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