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Par Liliane & Francis, Janvier 2024

LES REMPARTS D'AVIGNON 2

Les menaces progressistes du XIXème siècle

 

Rattachée à la France en 1791 et devenue chef-lieu de département, Avignon ne craint plus les invasions. Les remparts sont néanmoins considérés comme un ouvrage militaire jusqu’en 1821, date à laquelle ils deviennent propriété de la ville.

 

En visite en 1804, Aubin-Louis Millin de Grandmaison, dit Eleuthérophile Millin, naturaliste, bibliothécaire et grand érudit, écrit: « Le temps a donné à ces pierres si égales, si bien jointes et si bien polies, une teinte brunâtre qui augmente encore l’effet de l'ensemble. Aucune autre ville du Moyen Âge n'a une enceinte aussi élégante ; et c'est, sous ce rapport, un véritable monument de l’art ; mais ce serait une faible ressource dans le danger. On peut dire de ces murs si beaux, si réguliers, qu’ils servent de parade, et non pas de défense. »

D'autant que les maisons, commerces et bistrots de toutes sortes se sont accumulés au pied des murailles...

Les constructions le long du rempart extérieur 

Le rempart en aval du pont saint Bénézet

Gravure du XIXème siècle

et les vestiges de leurs escaliers

Porte de l'Oulle entourée de maisonnettes

Le chemin de fer se développe partout et la ligne Paris - Marseille doit desservir Avignon. En 1844, l’ingénieur Paulin Talabot projette de la faire passer le long du Rhône et le conseil municipal approuve, bien que ce tracé eut obligé à démolir toute la partie du rempart longeant le fleuve et à percer un tunnel sous le rocher des Doms impossible à contourner. De nombreux Avignonnais s’élèvent contre le projet, même si on leur promet de border le chemin de fer par un talus couronné d’un mur crénelé pour imiter le rempart !

 

Mérimée, inspecteur général des Monuments historiques, s’élève avec virulence contre ce curieux tracé, et en 1846 la Commission des Monuments historiques écrit : « Ces vieilles murailles couronnées de créneaux et de mâchicoulis, qui rendent si pittoresque l'aspect de la ville, seraient remplacées par une chaussée. La Commission regarderait comme un malheur public la destruction de cette belle enceinte [ ... ] Les Avignonnais ont à leurs portes un exemple des inconvénients de cette fatale manie de nos jours, qui sacrifie le passé au présent. Carpentras, qui grâce à ses remparts passait autrefois pour une des plus jolies villes de l’ancien Comtat Venaissin, les a démolis depuis peu ».

 

Le  projet est heureusement abandonné au changement d’équipe municipale.

Après la terrible inondation de 1856 le service des Ponts et Chaussées double la base des murs côté ville en pierre de Tavel, dense et peu sensible à l’humidité, sur une hauteur d’environ trois mètres, pour mieux résister à la poussée des eaux.

Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc

Le mur intérieur de renfort

En 1860 il est décidé de restaurer les remparts qui se dégradent et le chantier est confié à l’architecte adepte du néo-gothique en vogue, Viollet-le-Duc. Il étudie  minutieusement les problèmes à résoudre et applique ce principe : «Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné». Si bien que la restauration entreprise est par endroits une véritable reconstitution. Les portes saint Roch et saint Lazare sont recrées de façon à s’adapter à la circulation.

 

Aux remparts sont encore accolés des maisons, des ateliers, des cafés et restaurants, les bureaux de l'octroi.

 

Quant à la porte de la République - dénommée porte Napoléon en 1863, puis Jean Jaurès - c’est un ouvrage qui n’a plus rien de médiéval.

La porte saint Roch en 1915

La porte saint Lazare recréée pour laisser place à la circulation et doublée d'un passage piétons

Plan & coupe des remparts - Encyclopédie industrielle Lami 1875

L'inscription des remparts sur la liste des monuments protégés en 1862 ne les protège cependant pas suffisament, car arrive alors Joseph Pourquery de Boisserin, maire de 1888-1903, qui va tenter avec acharnement de démolir complètement les remparts d’Avignon sous prétexte que la ville ne peut pas se développer vers le sud.

 

Devant le refus gouvernemental d'élargir la porte de l'Oulle, il fait voter à l'unanimité moins une voix la destruction des remparts de la porte saint Roch à saint Lazare et parvient à détruire la porte Limbert une nuit de 1896 et celle de l’Oulle en 1900, avec pour autre argument que la restauration de Viollet-le-Duc n’était qu’une « imitation du vieux ».

La porte saint Dominique démolie début XXème

La porte Limbert avant sa démolition en 1896

Démolition de la porte Magnanen en 1902

La porte de l'Oulle en 1875 et sa destruction en 1900

En 1890 des platanes fournissent de l’ombre aux « allées » et le long des vieux remparts s’installent des marchés, des fêtes foraines, des jeux de boules, des foires aux chevaux, le parc des équipages du 7e Génie. Les boulevards saint Roch et saint Michel accueillent de cafés-concerts très fréquentés.

Ces arbres seront arrachés pour le passage du tramway en 2018 et remplacés par de nouvelles essences.

Foire aux chevaux de la saint André sur le boulevard saint Roch

Seul souvenir, les anneaux toujours ancrés

Fete foraine remparts_edited.jpg

Jeu de boules

Fête foraine "boulevard de la gare"

Années 60, un fabricant d'échelles à; l'extérieur du rempart.

Aujourd’hui

 

De sept portes monumentales à l’origine, réduites à trois au XVIème siècle, on compte de nos jours :

 

- Porte saint Michel : bombardée en 1944 et restaurée

- Porte Saint Roch : reconstruite en 1856 par Viollet-le-Duc

- Porte du Rhône : reconstruite au XVIIIème siècle par Jean Pierre Franque

- Porte de la Ligne : reconstruite par Jean-Baptiste et Jean-Pierre Franque

- Porte saint Lazare : la plus fortifiée, par laquelle se faisaient les entrées solennelles, doublée d’une porte percée dans      le rempart en 1890 pour la circulation des véhicules

- Porte de la République : démolie lors de la percée du cours Jean Jaurès, reconstruite par Viollet-le-Duc.

Aménagements actuels de la porte saint Lazare : le passage ajouté début XXème siècle, la tour ancienne évidée à l'intérieur,

une meurtrière qui se retrouve au ras du sol suite aux élévations successives des terrains et un mobilier urbain contemporain

Deux portes privées : pour une résidence et pour un accès à l’université

Brèches après destruction des anciennes portes et ouvertures modernes :

 

- Limbert : brèche ouverte sur la rue Guillaume Puy après destruction en 1896 par Pourquery de Boisserin

- Magnanen : percée ouverte en 1902 par Pourquery de Boisserin

-Thiers : percée moderne au débouché de la rue Thiers

- saint Dominique : brèche ouverte au bout de la rue Victor Hugo au début du XXème siècle

- du Rocher : percée sous la tour octogonale allée de l’Oulle en 1974

- Saint Charles : brèche ouverte en 1902 au bout de la rue du même nom

- de l’Oulle : brèche après démolition

- saint Joseph : percée à la base d’une tour au XXème siècle

La porte Limbert n'est plus qu'une brèche ouvrant sur la rue Guillaume Puy

Poternes  (passages piétons ouverts

dans la muraille) :

 

- Saint Lazare

- Banasterie

- Georges Pompidou

- de l’Oratoire

- Raspail

- saint Michel

- Teinturiers

- Monclar

La poterne Georges Pompidou

La poterne saint Lazare

De la promenade des élégantes du XIXème siècle aux Hare Krishna de 1968... les remparts ont toujours la cote !

Le long des remparts extra-muros a servi de parkings bitumés souvent saturés jusqu’en 2010. Le nouvel aménagement a supprimé les revêtements imperméables au profit de plates-bandes et d’arbres d’espèces méditerranéennes avec le souci de restaurer la biodiversité en améliorant la gestion de l’eau, sur une surface plantée d’environ 25 000 m². Une voie piétonne et cycliste, avec un emplacement réservé au tramway sur une partie du circuit, remplace le stationnement des voitures.

Trois œuvres d’art  peuvent être vues le long des remparts : le Zoulou de Jean-Claude Lorenzo,  trois cent kilos de métal dont les tresses  « rastas sont des chaînes que j’ai piquées aux allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale » représentant  la liberté et la solidarité  selon le sculpteur ;  Équilibre  de Brigitte Nahon, inaugurée en 2000 et Notre Dame du Bon Voyage quai de la Ligne.

Chaque année des travaux stabilisent l’état actuel.

 En 2021, Andrea Bortolus et Raffaella Telese, deux architectes avignonnais spécialisés dans la protection du patrimoine, ont réalisé 81 vues orthophotographiques à l’aide de scans, de clichés de drones et d’appareils photos plaqués sur des modélisations destinés à dresser un diagnostic aussi fin que possible de l’état des remparts.

Corbeaux endommagés

et restauration du rempart saint Michel

En octobre 2023,  la direction des Monuments historiques et la Ville, propriétaire de l’ensemble des remparts, ont entrepris la mise en sécurité des deux tours qui encadrent l’entrée de la rue de la République : nettoyage du parement par hydro-gommage, remplacement des merlons abîmés, fermeture des mâchicoulis du chemin de ronde pour éviter le ruissellement de l’eau.

Le tout pour un coût de 145 000 €.

La porte de la République, vue du parvis de la gare, reconstruite en 1850 par Viollet-le-Duc

Travaux de 2023/24

Le trajet du tramway le long du rempart de la porte saint Roch à saint Michel a profondément modifié son aspect extérieur

Un monument à la si longue histoire se charge nécessairement de plusieurs apparences, d’opinions contradictoires, et d’une présence si forte qu’elle peut susciter des jugements parfois peu acceptables : « Aujourd'hui, les remparts ne sont plus menacés. Mais ils pèsent sur le destin de la ville et sur l'inconscient collectif, Avignon est une ville schizophrène qui aspire à respirer mais ne peut s'y résoudre car elle a toujours peur du Rhône et de l'autre rive... Ce qui nuit à son ouverture et son développement. » (Bruno Gallet, architecte et urbaniste)

Quant au plasticien Olivier Huet, après avoir souhaité la destruction intégrale des remparts, en 2000 il change d'avis et dessine la muraille sur 35 mètres de papier calque à l’encre de Chine pour la découper en cinquante titres de propriété destinés à autant d’acheteurs pour former une « copropriété » baptisée Cercle des Remparts. « Il ne faut pas oublier que cette muraille appartient aux Avignonnais.  Ils y sont attachés et rêvent que ce mur ne soit plus une frontière entre l'intra-muros et l'extra-muros ! »

Les remparts d’Avignon sont devenus tout autant un emblème de la ville qu’un témoignage historique, même faussé car au bout du compte, à force d’adaptations, de remaniements et de restaurations, ils ne conservent à peu près rien de leur état originel.

« Le fait d’être à l’intérieur des remparts, ça comble une fragilité. Derrière les remparts, on est bien . L’intra-muros,  chaleureux, enveloppe :  l’ancien de la ville… C’est là, ça ne bouge pas… Les façades un peu vétustes, les ruelles pavées… C’est rassurant, apaisant. » Meryem, Avignonnaise.

Photographie Clémentine Faure  DR

Bibliographie

Franck Rolland  - Un mur oublié ; le rempart du XIIIème siècle à Avignon – Editions Persée

A. Penjo  - Avignon, la ville et le palais des Papes 1889 - Gallica BNF

Textes de Marc Maynègre

Girard, J., Évocation du vieil Avignon, éditions de Minuit, 1958

Sylvestre CLAP et Olivier HUET- Les Remparts d'Avignon, Avignon, Bénezet, 2005

A. Maire -  Les signes de tacherons sur les remparts d’Avignon. Bulletin monumental.1884

Valérie Peiffer - Article du Point paru 2012

https://journals.openedition.org/ceroart/2927#tocfrom1n2

http://www.presseagence.fr/lettre-economique-politique-paca/2023/05/17/avignon-sites-et-cites-centres-anciens-patrimoines-et-culture/

https://www.lesnoctambulesdavignon.com/remparts-davignon

https://lachezleswatts.com/fr/articles/16/84000-avignon/lalphabet-secret-des-remparts

https://www.nature-en-ville.com/

https://journals.openedition.org

Certaines photos ont été fournies par M. Bourgue, que nous remercions.

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